Fab City, un apprentissage de la ville

16 janvier 2018

Si le monde se présente à nous comme un ensemble hétérogène de milieux technicisés – territoire rural, site industriel, lieu de vie et de commerce, administration, espace partagés, réseaux et transports, milieu urbain -, le mouvement FAB CITY propose de penser une nouvelle grammaire entre les citoyen·ne·s et leur milieu, la cité. La ville peut-elle devenir un territoire productif serein et inspirant qui anime la construction de nouveaux métabolismes moins stéréotypés, plus équilibrés ? Comment l’accompagner ici, là-bas et maintenant ?


Depuis 2014, l’initiative FAB CITY se présente comme une carte où chaque ville note et partage avec minutie ses contours, ses forces et ses dynamiques. Chacune s’écrit à plusieurs mains – citoyen·ne·s, collectivités, entreprises – pour définir et améliorer leur milieu, leurs communs. Cette initiative crée des expertises et produit des données contextuelles précieuses. Elle calcule un cap de navigation original, accessible à chaque acteur·rice pour agir localement, s’orienter globalement et rester agile dans un système qui produit une multitude de sens. Pour tenir cette promesse d’une fabrication locale et circulaire qui peut s’emparer, si nécessaire, de la puissance des outils numériques, nous devons imaginer les nouveaux métiers fabricants dans la ville, de la ville.


L’expérimentation, first !


Durant les années 2000, apparaissent des collectifs d’architectes, de designers, d’artistes et de penseur·se·s qui réfléchissent aux formes. En partant d’expériences sociales accessibles à tous rapidement, Rumlabor, EXYZT, Constuct Lab, Public Works, HeHe ou Basurama expérimentent des utopies concrètes capables de célébrer l’existant en impliquant les habitant·e·s. Cette culture présente chez de nombreux acteur·rice·s de la FAB CITY se conjugue aujourd’hui aux enjeux productifs des villes pour trouver des équilibrages économiques, écologiques, sociaux et politiques au cœur de la ville.


On observe déjà des premiers talents qui conçoivent et animent ces circuits productifs permettant l’interopérabilité et la convivialité. Les artisan·e·s numériques, designers et entrepreneur·e·s aux parcours très divers sont la clé de voûte de FAB CITY. Nous devons les repérer, valoriser leurs actions et former les prochaines générations de faiseur·se·s de ville, des « cols blancs bleus ». Quel que soit le nom qui dessine ce compagnonnage – certain·e·s l’associent au courant Design des milieux le droit à « infrastructurer » la ville dont parlait Henry Lefèbvre dans les années 1906 sera favorisé par l’arrivée de compétences croisées et curieuses, habiles à manœuvrer et à guider les accostages les plus fins : dans un quartier, une rue ou un atelier-magasin au cœur d’un système complexe.


Des initiatives visionnaires


Parmi les nombreuses initiatives, on remarque la Fab Academy. Déployé par la Fab Fondation, le IAAC de Barcelone et des centaines d’ateliers locaux à travers le monde, ce réseau constitue sans doute un exemple unique d‘apprentissage citoyen, partagé et incarné par des acteur·rice·s très divers·ses du territoire. Mêlant agilité, interculturalité et exigence des contenus, la Fab Academy est un vecteur puissant de diffusion des savoir-faire pour penser le Faire en ville. S’appuyant sur un maillage puissant d’acteur·rice·s bien implanté·e·s, le réseau révèle des initiatives qu’il consolide grâce aux communautés des différents milieux. À cet égard, on peut citer l’outil de mesure de qualité de vie (air, bruit, humidité) Smartcitizen. Remarquable par son ouverture technique, son design de service et sa promesse sociale, ce projet de BigData vit et se développe aussi grâce à la bienveillance des habitant·e·s dans chaque territoire concernés.


Le Maker City Project est une autre initiative nord-américaine conçue comme un manifeste et un catalogue de solutions concrètes pour les villes et ses habitant·e·s. Dans son policy brief , il appuie l’idée que le moteur d’activités économiques et sociales commence par une reprise en main des outils productifs par ses habitant·e·s. Présentée sous forme de propositions pratiques, la note intitulée How to revitalize your city or your town est à destination des makers et citoyen·ne·s pour s’unir et repenser la production locale et l’emploi sans attendre l’arrivée d’une grande entreprise.


En Europe, à Londres, à Madrid, à Barcelone ou à Riga, des quartiers sont prototypés pour penser la production locale et cette reprise en main de valeur ajoutée de production des objets qui nous entourent. En Espagne, le phénomène des Laboratorios ciudadanos madrilènes et des Ateneus de Fabricació barcelonais ; à Londres, le Maker Mile du quartier d’Hackney ; à Riga le projet Brigade financé par le programme Georges Soros en 2000 dans le quartier de Miera Iela. Autant d’actions territoriales pensées comme des zones d’apprentissage.


La France ? Pas en reste non plus


En France, les propositions s’activent grâce à un vaste réseau d’ateliers et quelques initiatives de formation à valoriser. Imaginée par la chambre des Métiers d’Artisanat de Tarn & Garonn, la licence universitaire d’artisan numérique est une idée audacieuse pour repenser les métiers de l’artisanat et ses méthodes productives pour demain. À Nancy, le Campus Alliance ARTEM associe les compétences croisées de trois écoles – Mines, ICN et l’ENSAD – pour construire des savoirs transversaux et des cursus qui engagent les étudiant·e·s à s’ouvrir vers d’autres disciplines, d’autre milieux. L’université de Brest a initié le parcours FabCity Brest en s’appuyant sur sa culture des usages coopératifs et en créant un réseau de villes portuaires ou frontalières Fab City confrontées aux mêmes enjeux et métabolismes.


Enfin, Paris, depuis plusieurs années, porte une démarche innovante de co-construction en proposant des projets tels que Ré-inventer Paris, Ré-inventer la Seine ou La Métropole. Les programmes Budget participatif ou Parisculteurs sont également remarquables dans leur volonté d’associer les habitant·e·s à l’idée de faire ensemble un milieu commun. L’arrivée de la carte citoyen·ne parisien·ene est probablement une nouvelle étape vers la transformation des pratiques, où les habitant·e·s seraient invité·e·s à passer de consommateur·rice·s à co-auteur·rice·s des services de la ville.


Ce passage d’actions individuelles, localisées vers l’échelle de la cité, tout en préservant nos autonomies, nécessite un accompagnement sur le long terme. Il faut favoriser les parcours permettant de dessiner les espaces, les systèmes ou les images d’une ville en mouvement. Dans les décennies à venir, les métropoles du monde déploieront des outils toujours plus complexes pour honorer les enjeux de la régulation et de l’organisation de leur milieu. Nous devons accompagner les citoyen·ne·s pour que ces outils restent conviviaux, qu’ils ne nous enferment pas et qu’ils augmentent notre capacité à penser une économie de la productivité agile et douce.


Me reviennent quelques mots d’André Gorz dans Lettre à D. Il n’y a « pas besoin des sciences cognitives pour savoir que sans intuitions ni affects il n’y a ni intelligence ni sens. » Pensons la FAB CITY comme une école de l’intuition collective.

Vincent Guimas

Urbaniste, Programmiste & Faiseur